Les nouveaux dispositifs de l’audience de règlement amiable et de césure du procès sont porteurs d’une transformation profonde de la façon de conduire et de concevoir le procès, qui répond exactement aux contraintes spécifiques des litiges en droit des affaires, jusqu’alors peu conciliables avec le contentieux judiciaire classique. Ils insuffleront également une dynamique forte aux dispositifs amiables existants, tout en les complétant par le maintien du juge dans le dispositif.

L’entreprise abhorre l’imprévisibilité. Le cœur de son modèle économique consiste en effet à faire des anticipations rationnelles et efficientes, où le temps est maîtrisé, l’aléa ­encadré, et le risque calculé.

En quoi le contentieux judiciaire est quasiment l’antinomie de ces objectifs, puisque le temps d’une procédure est indéterminé, l’aléa de son issue est fort, et le niveau de risque est difficile à mesurer.

Or, la probabilité pour une entreprise d’être exposée à un contentieux n’est tendanciellement pas en baisse, et elle est même substantiellement en hausse dans certaines matières.

C’est pourquoi la dynamique insufflée par les nouveaux dispositifs de règlement amiable des litiges en vigueur depuis le 1er novembre 2023 est de nature à donner beaucoup plus de rationalité et d’efficacité au contentieux ­judiciaire appliqué au droit des affaires.

En effet, tant l’audience de règlement amiable, qui consiste à systématiser la tenue, devant et sous les hospices du juge, d’une audience dédiée à tenter de trouver une solution amiable au différend, que la césure du procès, qui consiste à isoler certaines prétentions au cours d’un même procès, aux fins que celles-ci soient tranchées, de manière séparée et anticipée, par le ­truchement d’un jugement partiel, permettront ­vraisemblablement de servir quatre objectifs en droit des affaires, avec lesquels le contentieux judiciaire classique était jusqu’alors peu compatible.

Le maintien du courant d’affaires

L’existence d’un différend peut n’être pas nécessairement synonyme d’une guerre totale. Le courant d’affaires doit parfois être maintenu dans l’intérêt des deux parties (situations d’interdépendance économique, conséquences financières trop critiques de l’arrêt d’un projet très avancé ou de relations commerciales établies, par exemple).

Un différend n’affectant en réalité qu’une partie marginale de l’ensemble de la relation devrait être traité comme tel.

C’est dorénavant possible, puisque l’audience amiable incite fortement au maintien du contact, et que le traitement différencié des prétentions par la césure favorise le traitement d’un différend à sa bonne échelle. Le partenaire commercial a donc moins de raisons d’être vu comme un ennemi définitif du seul fait de la survenance d’un différend.

Cela est d’autant plus vrai que ces deux nouveaux mécanismes de règlement amiable interviennent après le lancement de la procédure judiciaire, de sorte que l’effet "décompensation" de l’assignation, exutoire parfois nécessaire, demeure. En revanche, ­l’intervention très tôt dans la procédure judiciaire d’une audience amiable rendra possible un retour plus rapide à une rationalité propre à préserver ce qu’une entreprise ne devrait en principe jamais cesser d’être : un agent économique agissant au mieux de ses intérêts objectifs dans la recherche de la ­performance et de la ­profitabilité.

La maîtrise du niveau de conflit et donc du risque

Un contentieux est un affrontement, or, comme tout affrontement, une escalade non maîtrisée et non anticipée est toujours possible. Un différend au départ circonscrit dans son objet peut sortir complètement de son périmètre originel par l’effet des "frappes" mutuelles assénées dans le cours d’une procédure judiciaire, chacune des parties essayant instinctivement de rechercher la ­neutralisation totale de l’adversaire.

Or, un conflit ouvert et d’une amplitude non maîtrisée est redoutable pour une entreprise. Car, outre l’exposition à un risque devenant hors de contrôle, l’effet-signal de ce type d’escalade est négatif pour l’image de l’entreprise, tant en interne (salariés, actionnaires, investisseurs) qu’en externe (clients, partenaires commerciaux, concurrents).

C’est pourquoi la césure, notamment, est très intéressante quant à l’objectif nécessaire de confiner un conflit et de le maintenir à une intensité contrôlée, puisqu’elle permettra de conserver la maîtrise du périmètre des ­prétentions.

Au surplus, la circonstance qu’une partie des prétentions soit tranchée par un jugement partiel sera vraisemblablement de nature à ­aider à la résolution des prétentions demeurant en débat, le jugement partiel pouvant jouer le rôle que revêt parfois un rapport d’expertise judiciaire, sur la base duquel les parties peuvent faire le choix rationnel de trouver un accord.

L’effet vertueux du confinement du conflit s’étend également aux aspects comptables, en ce qu’une meilleure maîtrise du périmètre du litige rendra plus aisé et plus précis le calcul de la provision que chaque entreprise doit opérer lors de la survenance d’un contentieux, et donc d’éviter que l’entreprise voie ses comptes obérés par des montants de ­provisions sans rapport avec le risque réel.

La maîtrise du temps et du coût

Un contentieux judiciaire classique est en général une séquence conflictuelle à durée indéterminée, ce qui est assez peu compatible avec le rythme des affaires.

Une autre grande vertu des dispositifs d’audience de règlement amiable et de la césure, rejoignant en cela le mécanisme de la procédure participative, est que le temps de la procédure sera dorénavant connu, et ­maîtrisable.

Par ricochet, le coût de la procédure sera aussi mieux maîtrisé. Outre les frais de défense, les "coûts masqués" (experts financiers, experts techniques) sont élevés dans les contentieux d’affaires complexes. Surtout, très rares sont les entreprises disposant de juristes dédiés aux contentieux, de sorte que dans les faits, ce sont des opérationnels qui consacrent énormément de leur temps à la gestion d’un contentieux, parfois plusieurs années durant, au préjudice de ce qui devrait constituer le cœur de leur mission : la création de valeur pour l’entreprise.

Un contentieux non maîtrisé dans sa durée et dans son coût est donc structurellement destructeur de valeur, c’est pourquoi réduire ces aléas constituera un facteur clé au service d’une gestion plus performante et plus ­rationnelle d’une situation contentieuse.

La confidentialité

L’entreprise a une aversion particulière pour des situations où ses difficultés deviennent publiques, ce qui est le cas d’un contentieux judiciaire classique. Pour cette raison, la confidentialité attachée aux échanges de propos, écrits et pièces dans le cadre d’une audience de règlement amiable, sera un avantage comparatif très substantiel, puisque l’entreprise disposera tout à la fois de la plus-value évidente que constituent la présence et l’autorité d’un juge, sans subir l’exposition au risque de publicité afférent au débat judiciaire. En cela, ce dispositif nouveau viendra utilement compléter les dispositifs existants de la conciliation et de la médiation, en ce que le juge de l’audience de règlement amiable étant habilité à donner un avis, il est probable que les parties en présence accélèrent leur cheminement vers une solution négociée, en postulant que l’avis donné par le "juge amiable" sera vraisemblablement très proche de celui qui sera donné par le juge amené à trancher le litige en cas d’échec des discussions.

Par ces nouveaux dispositifs de règlement amiable des litiges, lesquels vont de surcroît donner une dynamique nouvelle aux dispositifs existants, le contentieux des affaires trouvera enfin des solutions opérationnelles aux difficultés, jusqu’alors insolubles, posées par le contentieux judiciaire classique.

Seulement conviendra-t-il de maintenir un niveau de vigilance élevé, mais qui existait déjà, sur la possible stratégie malicieuse d’usage détourné de ces mécanismes.

En effet, à l’instar d’un conflit traditionnel, la prise d’informations peut être déterminante en contentieux des affaires. Car dans un contexte où les magistrats délivrent avec beaucoup plus de parcimonie qu’auparavant des "ordonnances 145", la procédure d’audience de règlement amiable ou même la césure pourraient être instrumentalisées à des fins tactiques de recherche d’informations précises sur le contenu du dossier de la partie adverse, voire à servir de test des "lignes ennemies" aux seules fins de ­préparer la vraie offensive à venir.

Sous ces réserves – mais qui n’en sont pas vraiment car le sens tactique fait structurellement partie de l’activité contentieuse –, le droit des affaires, et donc le monde de l’entreprise, a un immense intérêt à prendre le train de cette spectaculaire révolution de l’amiable et de la conduite du procès.

 

LES POINTS CLÉS

Quatre objectifs clés pour le contentieux des affaires pourront être atteints :

  •       maintenir le courant d’affaires en dépit du différend judiciaire ;
  •       confiner le niveau de conflit, et donc confiner le risque ;
  •       maîtriser le temps de la procédure, ainsi que son coût ;
  •       préserver la confidentialité.

 

SUR L’AUTEUR

Samuel Sauphanor est avocat au barreau de paris depuis vingt ans. Il est associé fondateur du cabinet le 16 Law, dédié au contentieux des affaires et à l’arbitrage. Il a auparavant exercé plus de dix ans chez Freshfields, et a commencé sa carrière chez Rambaud Martel (devenu Orrick). Il est l’auteur de divers articles et contributions sur la résolution amiable des différends, dont l’ouvrage Procédure participative assistée par avocat, avec Natalie Fricero et Hélène Poivey-Leclercq (éditions Lamy). Samuel Sauphanor est membre du conseil de l’ordre de Paris.