Consacré par la loi n°2003-706, le principe de la globalisation des sinistres entraîne l’application d’un seul plafond de garantie pour les sinistres sériels réputés n’en former qu’un, en raison de ce qu’ils découlent d’une même cause technique.Depuis 2020, la Cour de cassation a, par plusieurs arrêts1, refusé l’application du principe de globalisation à tous les sinistres causés par un manquement aux obligations d’information et de conseil auxquelles sont tenus les professionnels, jugeant que, par nature, ces obligations rendent chaque sinistre individuel. Les conséquences de cette interdiction de la globalisation, qui concerne donc tout un pan de l’assurance RCP, ne sont pas anodines.

"Un ensemble de faits dommageables ayant la même cause technique est assimilé à un fait dommageable unique."
Voilà comment l’article L.124-1-1 du Code des assurances affirme le principe de la globalisation des sinistres, autour de la notion de "même cause technique".
Bien que d’ordre public, le législateur ne donne aucune définition légale de cette cause, dont on sait seulement qu’elle est technique et donc non juridique.
Pour la doctrine, cette cause ne relève pas du monde du droit mais du monde réel2.
Elle se distingue de la notion juridique du "fait dommageable", entendu comme la cause génératrice du dommage.
Elle matérialise, aux côtés de la cause génératrice du dommage, le facteur technique expliquant la production du dommage3.
C’est dans le domaine de la responsabilité des produits défectueux que la notion de cause technique trouve son rayonnement le plus naturel : la cause technique est celle qui est à l’origine du défaut de fabrication ou de conception4 et qui permet de distinguer, par exemple, en cas de sinistres dus à l’utilisation de prothèses, les causes qui résultent d’un problème de fabrication (même cause technique) d’un problème d’usure (cause technique différente)5.
Dans le premier cas, l’article L.124-1 du Code des assurances imposera au juge et aux parties de globaliser l’ensemble des ­sinistres et de ne retenir pour ceux-ci qu’un seul et même plafond d’assurance, de même qu’une seule franchise.

 

"Si la notion de cause technique est univoque pour les prestations matérielles, elle est beaucoup plus complexe pour les prestations intellectuelles"


Dans le deuxième, chaque sinistre, même appartenant à une même série, sera considéré comme unique : autant de plafonds et de franchises que de sinistres.
Si la notion de cause technique est claire, voire univoque, lorsque la prestation est matérielle (la livraison d’un bien), elle ­devient beaucoup plus ambiguë lorsque la prestation à l’origine des sinistres est ­intellectuelle.
Ainsi en va-t-il des sinistres provoqués par un manquement aux obligations d’information et de conseil auxquelles sont tenus les professionnels, notamment dans le ­domaine de la gestion de patrimoine.
Abondamment commentés, on se souvient effectivement des arrêts récemment rendus par la deuxième chambre civile de Cour de cassation en 2020 et 20216, qui ont exclu toute possibilité d’une "même cause technique", dès lors que le sinistre met en cause un professionnel tenu à des obligations d’information et de conseil, lesquelles sont considérées par la Haute juridiction comme étant "par nature" des obligations
individualisées.
Il s’agissait dans ces espèces de sinistres résultant de la commercialisation de produits de défiscalisation soumis à la loi Girardin du 21 juillet 2003, permettant à leur souscripteur d’obtenir, l’année de leur investissement, une réduction ­d’impôts.
Dans ces espèces, les produits en cause étaient des investissements dans des centrales photovoltaïques dont l’éligibilité à la réduction d’impôt avait été rejetée par l’administration fiscale au motif que ces centrales n’avaient pas été raccordées au réseau électrique l’année de ­l’investissement.
A priori, cette absence de raccordement au réseau électrique pouvait apparaître comme une cause technique évidente au rejet de la réduction d’impôt .
L’explication technique du sinistre, commune à l’ensemble des investisseurs, résidait bien dans cette absence de raccordement.
Telle n’a pourtant pas été la voie choisie par la Cour de cassation, qui a énoncé
dans chacune des décisions en cause que "les dispositions de l’article L.124-1 du Code des assurances consacrant la globalisation des sinistres ne sont pas applicables à la responsabilité encourue par un professionnel en cas de manquements à ses obligations d’information et de conseil, celles-ci individualisées par nature, excluant l’existence d’une cause technique, au sens de ce texte, permettant de les assimiler à un fait dommageable unique".
On ne retira effectivement pas à la Cour de cassation le fait avéré que les obligations d’information et de conseil du conseiller en gestion de patrimoine (CGP) ou conseil en investissement financier (CIF) doivent, selon la jurisprudence et le Code ­monétaire et financier, être personnalisées au profil du client.
Cette personnalisation du conseil et de l’information est d’autant plus au cœur du métier de CGP/CIF que celui-ci a l’obligation systématique, quel que soit le produit qu’il propose, d’établir le profil personnalisé de son client, de recueillir ses éléments de patrimoine mais aussi d’identifier avec lui ses objectifs.
Cela étant, lorsque l’un des produits qu’il propose à plusieurs de ses clients se révèle défectueux dans sa conception ou son exécution – ce qui peut justement être le cas de produits inéligibles à la réduction fiscale Girardin – il n’existe a priori aucune raison de ne pas considérer que la cause, qui est une cause technique, est bien commune à l’ensemble des sinistres.
Dans un tel cas, la globalisation devrait ­logiquement être le principe et l’individualisation, l’exception.
La globalisation devrait d’autant plus être de principe que l’article l’instituant, ­l’article L.124-1-1 du Code des assurances, est, rappelons-le, d’ordre public.
Mais la Cour de cassation a savamment contourné le problème en décrétant que cette disposition d’ordre public n’était pas applicable aux professionnels tenus d’une obligation d’information et de conseil, sans laisser place à la moindre exception.
L’objectif de la Cour de cassation est à n’en point douter de protéger les tiers victimes contre les conséquences de la globalisation des sinistres : application d’un seul plafond de garantie souvent bien en deçà des préjudices subis, indemnisation différée de plusieurs années le temps que toutes les réclamations soient reçues et traitées et que la répartition du plafond d’assurance puisse se faire entre toutes les victimes ; autant de conséquences qui ne sont effectivement pas anodines du point de vue des victimes.
Mais l’interdiction totale de la globalisation des sinistres n’est pas non plus sans conséquence pour les investisseurs.
En effet, cette interdiction, qui concerne tous les sinistres mettant en cause un professionnel tenu d’une obligation d’information et de conseil, donc qui touche en réalité une fraction importante de la branche de l’assurance RCP, constitue un changement complet de paradigme qui ne peut avoir pour effet que de conduire l’ensemble des acteurs de l’assurance concernés à redéfinir les équilibres, notamment au niveau des limites d’assurance.
Il n’est pas certain que les décisions de principe de la Cour de cassation, qui se veulent des mesures de protection des ­victimes, ne leur deviennent pas un jour préjudiciables.

 

NOTES DE BAS DE PAGE

1 Cass. civ. II, 24 septembre 2020, n°18-12.593 et 18-13.726 ; 27mai 2021 n°19-24.274.
2 L. Mayaux, La cause technique en assurances de responsabilité : entre réalité et fiction, in Mélanges en l’honneur du professeur Mohamed Zine, Centre de publication universitaire, 2018, p. 579.
3 Ibid.
4 J. Bigot, Problématique de la globalisation des sinistres, JCP. G, 2013, n°27, doctr.783.
5 Cass. civ. II, 2 juillet 2015, n°14-21731.
6 Supra, n°1.
 

 

POINTS CLÉS

  • Le principe de globalisation des sinistres est désormais exclu dès lors que le sinistre concerne un professionnel tenu d’obligations d’information et de conseil.
  • Les assureurs sont amenés face à ce changement de paradigme à redéfinir les équilibres de leurs contrats, notamment au niveau des limites d’assurance.

 

SUR LES AUTEURS
Arnaud Péricard et Maximilien Mattéoli sont spécialisés, avec leurs équipes, dans la défense des professions réglementées, tant dans le cadre de la mise en cause de leur responsabilité (civile, pénale, disciplinaire, ou administrative) que dans celui de leur fonctionnement (réglementation, compliance, relations entre associés, M&A…).