Si la parité est plutôt bien respectée à la sortie des écoles, la situation se détériore au fil des ans. En moyenne, les cabinets de conseil ne comptent que 25% d’associées. Afin de résoudre ce problème davantage sociétal que sectoriel, la plupart des cabinets et boutiques agissent.

Les grands cabinets le savent et sont les premiers à en faire la promotion auprès des entreprises qu’ils conseillent : la mixité est source de performance. Plus encore, dans un contexte de guerre des talents, créer des environnements de travail dans lesquels les collaborateurs se sentent bien facilite les recrutements et la rétention des meilleurs. Hommes, femmes, jeunes, seniors… Tous les types de profils sont importants. Toutefois, en ce qui concerne la parité, le monde du conseil – au sens large – ne fait pas exception dans l’univers de l’entreprise. Atteindre la mixité relève du marathon. Comment le secteur avance-t-il sur la question ? La représentation des femmes y est-elle homogène ou dépend-elle des différents métiers qui le composent ? Les horaires de ces postes exigeants influent-ils sur la présence des femmes ? Éléments de réponse.

Seulement 25 % des femmes atteignent de hauts postes de direction et d’associées

Question d'âge

"Sur la place des femmes dans le conseil, la parité est à peu près respectée dans les recrutements des jeunes diplômés tous métiers confondus, explique Charlotte Vandeputte, associée, responsable talents et membre du comité exécutif de Deloitte France. La situation se complexifie au fil de l’évolution des carrières. On commence à constater des décrochages à partir des grades de managers." Dans le détail, le cabinet de conseil et d’audit embauche entre 43 % et 68 % de femmes à des niveaux juniors en consulting, audit et finance.

À partir de cinq ou six ans d’ancienneté – c’est-à-dire autour de la trentaine –, l’écart se creuse. Seulement 25 % des femmes atteignent de hauts postes de direction et d’associées. "C’est un phénomène d’érosion progressif propre à l’ensemble du secteur", précise Charlotte Vandeputte. Le constat est un peu plus amer en banque d’affaires : "Je ne reçois que 25 % de CV de femmes alors qu’en filière finance elles représentent 35 % à 50 % des étudiants", regrette Laurence de Rosamel, managing partner en charge de l’activité debt advisory chez Clearwater.

Impératif business

Tous les employeurs ont-ils conscience que le fossé se creuse passé un certain âge et agissent-ils pour combattre ce phénomène ? "La très grande majorité en fait une
priorité
, constate Charlotte Vandeputte. Mais j’ai en tête quelques cabinets qui, même s’ils sont minoritaires, ont de gros moyens et ne font absolument rien." Ceux qui prennent le taureau par les cornes n’interviennent pas par pur altruisme ou conscience sociétale, mais bien pour répondre à des impératifs d’affaires.

"Nous évoluons dans un secteur où nous avons besoin de talents, et les perdre est préjudiciable à notre business"

"Nous avons besoin de plus de parité pour des questions d’équité et de compétitivité. Si nous n’arrivons pas à garder ou à attirer assez de talents féminins, cela va avoir un impact sur notre niveau de performance, ajoute Charlotte Vandeputte. Nous évoluons dans un secteur où nous avons besoin de talents, et les perdre est préjudiciable à notre business."

Problème sociétal

Pour Laurence de Rosamel, ces mouvements ne sont pas propres aux métiers du conseil mais relèvent bien d’un problème sociétal : "Les femmes doivent démontrer qu’elles sont capables de faire complètement le job pour bénéficier d’une promotion alors que les hommes sont promus sur leur potentiel, analyse-t-elle. Elles doivent aussi se montrer fortes comme un homme, ce qui peut revenir à nier ce qu’elles sont. L’intérêt de la diversité réside dans le fait que nous sommes tous différents. À la trentaine, les femmes n’arrêtent pas le métier pour avoir des enfants mais parce qu’elles ne se projettent pas dans les modèles principalement incarnés par les hommes."

Remèdes

Deloitte France mise sur trois leviers afin d’atteindre 30% de femmes associées d’ici à 2026, contre 20% il y a trois-quatre ans. Pour y parvenir, le cabinet travaille sur la promotion d’un leadership inclusif avec des formations de tous les associés et managers sur le sujet ainsi qu’un plan de lutte contre le sexisme ordinaire. À bas les blagues sexistes, les remarques sur le niveau d’engagement d’une femme lorsqu’elle annonce sa grossesse ou les "tu prends ton après-midi?" quand un parent s’en va à 17h00. "Il s’agit de lutter contre toutes les petites agressions du quotidien qui viennent polluer l’environnement de travail", explique Charlotte Vandeputte. En cas de dérapage, plusieurs canaux sont à la disposition des collaboratrices de manière à pouvoir faire remonter l’information facilement.

Deloitte œuvre pour que les femmes se projettent davantage, notamment à travers des programmes de leadership. "Nous en avons mis en place pour les jeunes managers à potentiel. Elles n’ont que cinq ou six ans d’expérience mais nous les coachons afin de créer et maintenir un vivier de femmes ambitieuses." Ada Di Marzo, directrice générale du bureau parisien de Bain & Company, abonde dans ce sens : "Il faut faire comprendre assez tôt aux femmes qu’elles peuvent tout faire si elles en ont l’envie car la première forme de sabotage, c’est de se mettre des limites."

Moments de vie charnières

Deloitte accompagne aussi la parentalité. "L’environnement de travail exigeant dans lequel nous évoluons n’est pas étranger au fait que certains collaborateurs ne se projettent pas après la trentaine", constate Charlotte Vandeputte. Accompagner la maternité, faciliter le télétravail, financer des places en crèche… Les solutions sont nombreuses. Si les métiers du conseil s’avèrent souvent chronophages, ils permettent aux personnes – surtout lorsqu’elles ont atteint un certain niveau de séniorité – d’organiser leur emploi du temps avec flexibilité, alors autant en profiter.

"La première forme de sabotage, c’est de se mettre des limites"

Afin de limiter l’autocensure, Bain & Company a mis en place un système de "big sisters" grâce auxquelles les plus jeunes sont accompagnées par des profils seniors afin de les aider à prendre confiance en elles. Le cabinet pousse les associés à s’engager et à mettre en place les conditions pour aider les femmes à gravir les échelons. Le tout sans compter les politiques visant à mieux gérer les moments charnières comme la parentalité ou l'aidance. C’est-à-dire des caps de vie qui peuvent pousser un certain nombre de femmes à quitter le métier.

D’autres horizons

Dans ce cas, où vont-elles ? Souvent en entreprise. "Elles peuvent paraître moins exigeantes, avec des horaires plus prévisibles mais elles offrent moins de perspectives, estime Charlotte Vandeputte. Si les femmes intègrent un grand groupe, elles ne feront de toute façon pas du 9h-17h. Il y aura un certain niveau d’engagement quoi qu’il arrive." Autre domaine, pourtant gourmand en temps, qui attire davantage les femmes : les fonds d’investissement, même si là encore la parité n’est pas toujours atteinte.

D’où l’intérêt de disposer de rôles modèles dans le conseil qui leur montrent différents chemins possibles pour se réaliser comme elles l’entendent. "Il faut susciter des vocations et avoir un mode de leadership accessible auquel les femmes puissent s’identifier, insiste Laurence de Rosamel. Pour beaucoup, l’image d’argent, de pouvoir et de prestige de la banque d’affaires ne correspond pas à leurs valeurs. Cela vaut même pour certains hommes de la nouvelle génération." La prise de conscience est bien là, reste peut-être la partie la plus difficile: l’exécution. Ce ne sont pas les cabinets de conseil qui diront le contraire.

Olivia Vignaud

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