Laurent de la Clergerie est catégorique : une personne capable de profiter de sa vie personnelle accomplit mieux et davantage lorsqu’elle est au travail. Apôtre de la semaine de quatre jours, ayant récemment annoncé des mesures égalitaires et généreuses en matière de congé naissance, et engagé sur la dignité des femmes qui recourent à l’IVG, le président du directoire de LDLC livre sa vision de l’entreprise à Décideurs RH.

 

Décideurs RH. Votre entreprise est structurée de manière atypique, pouvez-vous expliquer le chemin qui vous y a mené et les impacts sur votre évolution ?

Laurent de la Clergerie. C’est le résultat de trois vies successives de l’entreprise, où nous sommes passés de 0 à 300, comme une bande de copains, avec une direction interne. À bien des égards, nous étions une entreprise autogérée qui s’ignorait : nous n’avions pas de salles de réunion, et on ne s’en rendait même pas compte. On se faisait confiance, jusqu’au moment où un responsable de la logistique a fait une erreur qui a failli faire couler la structure.

Par conséquent, nous avons recruté à l’extérieur pour nous mettre plus en sécurité. Les nouveaux ont d’abord structuré, mis en place un codir, un comité stratégique et ont ajouté quelques étages au sein de la hiérarchie. On est devenus une entreprise « normale », ce qui nous a permis de grandir, mais aussi de devenir très – et même trop – politiques.

Et là, j’ai lu le livre d’Alexandre Gérard, Le Patron qui ne voulait plus être chef. Cette lecture m’a rappelé ce que nous étions et que j’aimais, alors que je n’appréciais pas ce que nous étions devenus. J’ai voulu y revenir, tout en évitant de reproduire l’erreur qui avait consisté à assigner à une personne seule, une tâche pouvant mettre en péril la société.

Néanmoins, s'il est simple de structurer, il est complexe de restructurer vers un schéma managérial moins vertical et moins contrôlant.

Quels ont été les changements et comment ont-ils été reçus ?

Il y a eu quelques départs : quelle que soit la strate, il est difficile d’accepter l’absence de hiérarchie. Je voulais que notre management ne soit plus contrôlant mais accompagnant. Selon moi, le rôle des managers est avant tout de faire grandir les équipes : un responsable commercial doit aider à atteindre un objectif et non pas sanctionner un chiffre non atteint.

Dans un premier temps, j’ai annoncé aux équipes que nous allions libérer l’entreprise. Elles m’ont regardé de travers mais après deux ans de formation avec Alexandre Gérard,  nous avons pu aller dans ce sens. In fine, nous avons renoncé à être une entreprise libérée, mais avons gardé notre cap vers cette posture et cet état d’esprit d’accompagnants.

Comment avez-vous mené ce travail de changement en respectant vos objectifs financiers ?  

Exactement à ce moment-là, nous venions d’annoncer en Bourse que notre chiffre d’affaires allait doubler… Six mois après, j’ai expliqué en interne que notre objectif réel était avant tout le bien-être des équipes. C’est à ce moment-là que j’ai voulu tester la semaine de quatre jours qui a été opérationnelle le 25 janvier 2021, le jour des 25 ans de LDLC.

"On travaille bien mieux, beaucoup plus et en moins de temps, pas parce qu’il y a de la pression, mais parce que la santé mentale est meilleure"

C’est la neuvième fois que vous êtes élu service client de l’année 2023 : quel est l’impact de vos politiques internes sur la fidélité de vos employés et, in fine, sur la qualité des services rendus ?

Le niveau est effectivement très haut. Quand j’ai mis en place la semaine de quatre jours, je pensais que ce modèle me coûterait 5% de la masse salariale pour compenser, notamment en logistique où j’étais persuadé qu’on ne pourrait pas faire mieux, par exemple. Or ça n’a pas du tout été le cas. Les effets ont été bien au-delà de ce que j’imaginais : grâce à cette pause hebdomadaire de trois jours qui garantit un équilibre de vie personnelle, on travaille bien mieux, beaucoup plus et en moins de temps, pas parce qu’il y a de la pression, mais parce que la santé mentale est meilleure. C’est même le cas dans un contexte de croissance : en logistique, avec 15% de travail en plus, les équipes parviennent à tout accomplir et restent en bonne santé.

On parle beaucoup de santé mentale et de risques psychosociaux mais le remède est clair : c’est la semaine de quatre jours. En revanche, la question de la "journée" de non-travail est importante : 32 heures sur cinq jours, ça n’a aucun sens : ce sont les quatre jours qui comptent. Certes, quelques personnes (une minorité) ne prennent pas la semaine de quatre jours, mais pour rien au monde elles ne reviendraient en arrière, car ce système leur sert de soupape "au cas où".

L’une de vos annonces marquantes de 2023 est l’instauration d’un congé naissance de vingt semaines pour les hommes comme pour les femmes : comment avez-vous choisi cette durée ?

Tout cela part du fait que je voulais que les congés maternité et paternité/coparent soient égaux. En observant qu’à partir du troisième enfant, le cadre légal accorde vingt semaines aux femmes, je me suis dit que même ça, c’était absurde : c’est le premier enfant qui est le plus "difficile", dans la vie des parents ! J’ai donc commencé par vouloir aligner les congés des femmes sur vingt semaines, et j’ai reproduit la même chose pour les coparents.

Comment vous assurez-vous que les hommes prennent leur congé ? 

 Nous n’en sommes qu’au début et si, depuis l’annonce aucun de mes cadres supérieurs n’a été père, il y a trois hommes en congé actuellement. En réalité, la durée elle-même est incitative : on peut se passer de deux semaines de congé, mais dire non à vingt semaines est plus difficile car cela représenterait un très gros cadeau à l’entreprise !

"L’IVG est un traumatisme potentiellement psychologique et quoi qu’il arrive physiologique, or cela ne nous coûte rien de donner trois jours"

Vous avez également été signataire d’une tribune en faveur d’un congé IVG : comptez-vous l’instaurer chez LDLC ? 

Nous n’avons pas encore officialisé cette démarche, mais il était évident pour moi qu’on l’instaurerait dès lors que j’avais signé la tribune. L’IVG est un traumatisme potentiellement psychologique et quoi qu’il arrive physiologique, or cela ne nous coûte rien de donner trois jours.

Votre page Ressources humaines est très transparente et affirme nombre de vos engagements, parfois avec vos notations à l’appui : politique formation, non-discrimination, formation, mobilité interne, dispositifs d’accueil pour les personnes en situation de handicap, égalité femmes-hommes. Peu d’entreprises sont aussi détaillées, notamment sur l’index égalité femmes-hommes…

J’ai récemment découvert que les entreprises étaient notées sur l’égalité femmes-hommes, et j’ai souhaité savoir quelle était notre note, qui est de 98/100. On n’a pas cherché à s’ancrer dans une politique ou une stratégie particulière, mais sans le savoir, on était très bons : preuve que quand on a l’état d’esprit, on a la note.

"Malheureusement, en matière d’ESG, le bien-être des équipes est le parent pauvre"

Parlons d’ESG : quels retours votre politique sociale a-t-elle sur vos notations extra-financières ? 

Malheureusement, en matière d’ESG, le bien-être des équipes est le parent pauvre. Je dirais même qu’à ce stade, celui-ci est mal vu ! Pourtant, grâce à cette politique, nous faisons partie des entreprises les plus rentables de notre secteur.

Propos recueillis par Judith Aquien

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