La Cour de cassation rejette le pourvoi des associations Sherpa, Éthique sur l’étiquette et ActionAid dans l’affaire du Rana Plaza. La décision tombe presque un an après celle – contestée – de la cour d’appel de Douai qui confirmait le non-lieu de la plainte pour pratiques commerciales trompeuses.

“La multinationale échappe définitivement à toute poursuite.” C’est le constat des associations qui avaient porté plainte contre Auchan pour son implication dans le drame du Rana Plaza, après la décision de la Cour de cassation du 12 décembre 2023. Une décision, couverte par le secret de l’instruction, qui précise, dans un avis très court selon les plaignants, que leur pourvoi est non admis.

Inconscient collectif

Elle met fin à une procédure longue de dix ans, lancée par une plainte pour pratiques commerciales trompeuses de Sherpa, ActionAid France et le Collectif Éthique sur l’Étiquette le 24 avril 2013. Les associations reprochaient à l’entreprise française le décalage entre ses engagements éthiques et les conditions de travail effectives dans les ateliers du Rana Plaza. Après l’effondrement de l’immeuble en 2013, dans lequel plus de 1 000 ouvrières avaient trouvé la mort, des étiquettes de sa marque distributeur In Extenso avaient été retrouvées dans les décombres. À défaut de preuves suffisantes, la juge d’instruction avait prononcé le non-lieu de la plainte en avril 2022. La cour d’appel de Douai avait validé cette position en décembre 2022. Pour les juges du second degré, Auchan avait garanti des conditions de travail satisfaisantes à travers les audits sociaux et les dispositions contractuelles imposées à ses fournisseurs. Laura Bourgeois, chargée de contentieux et de plaidoyer à Sherpa, ne partage pas l’analyse : “Les déclarations RSE ne constituent aucune garantie : les contrôles d’audit sans mesure corrective et des clauses contractuelles non exécutées ne servent à rien.” Pour elle, ces audits évoquent “dans l’inconscient collectif, y compris celui des juges, un a priori positif“ sans que cela soit justifié. Les associations plaignantes dénoncent “le crédit injustement accordé aux audits et engagements éthiques des entreprises dans ce type d’affaire”.

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Quelques mois après le drame, Auchan avait annoncé le versement d’un million d’euros au bénéfice des victimes. L’entreprise avait également signé un accord sur la prévention des incendies et la sécurité des bâtiments mis en place en mai 2013 sous l’impulsion des fédérations syndicales internationales IndustriALL et Uni Global Union. Selon ActionAid France, le leader de la grande distribution refuse toujours de signer l’accord international sur la santé et la sécurité dans l’industrie du textile et de la confection de 2021, relais du premier relatif à la sécurité des bâtiments conclu pour une durée de cinq ans seulement. Selon le directeur de la communication d'Auchan, “l’accord [de 2021] est mal étayé” et Auchan se dit “en parfaite cohérence avec la législation française et en anticipation de la directive européenne sur le devoir de vigilance”.

Attente d'un devoir de vigilance renforcé

Selon Mathilde Panhaleux, administratrice du Collectif Éthique sur l’étiquette, les refus de se prononcer de la part des juridictions montrent que “les sociétés transnationales peuvent encore se cacher derrière des mesures cosmétiques ou des engagements sans contrainte”. Là encore, l’action législative de l’Union européenne nourrit beaucoup d’attentes. “La loi devoir de vigilance des entreprises doit être renforcée par un cadre législatif européen et international afin que toutes les entreprises soient obligées de rendre compte de l’impact de leurs pratiques sur les droits fondamentaux et de mettre en place de mesures de correction de cet impact.” La version française – la première au monde – du devoir de vigilance, a été appliquée pour la première fois par les juges français en décembre, à l’encontre de La Poste. La décision est intervenue après plusieurs tentatives échouées de la part d’associations de saisir la justice sur le fondement, notamment à l’encontre du pétrolier Total.

Anne-Laure Blouin