Deux lignes seulement résument la rubrique expérience professionnelle de la page LinkedIn d’Émilien Bernard-Alzias. Pourtant, c’est l’un des spécialistes, à 40 ans à peine, du droit des services financiers de la place parisienne. Rencontre avec l’avocat venu d’Hyères-les-Palmiers en Paca.

Cancre. C’est ainsi qu’Émilien Bernard-Alzias décrit le collégien et le lycéen qu’il a été, à Hyères-les-Palmiers, dans les années quatre-vingt. Selon lui, ses professeurs n’auraient pas parié un "kopeck" sur sa carrière professionnelle. Contre toute attente, après deux redoublements pendant les années ingrates de l’adolescence, Émilien Bernard-Alzias valide cinq années de droit à Aix du premier coup. "En première année, j’ai bossé comme un malade. Je n’avais pas les bases puisque j’avais été un cancre", explique celui qui est associé chez Simmons & Simmons depuis 2022. Le filon de cette motivation ? Le droit des affaires, "une révélation". Il intègre le DJCE d’Aix, le diplôme-Graal pour les juristes affairistes – les connaisseurs savent. Il rafle la seconde place du classement. Il ignore encore que c’est un bon point gagné pour sa future carrière d’avocat. À cette époque, il a regardé l’intégralité des saisons d’Ally McBeal sans jamais projeter de passer le barreau. C’est plutôt au contact des intervenants du DJCE qu’il comprend tout l’intérêt de prêter serment. Son orientation professionnelle vers le monde des affaires étonne sa famille (des médecins et des enseignants), et surtout son "grand-père communiste toujours avec l’Humanité sous le bras". Aux yeux des siens, il est l’avocat de la finance. De son point de vue, il aide les financiers à appliquer le droit.

Compter les associations

Pour obtenir son premier stage, il "galère". Alors, il remporte avec deux camarades de promo la deuxième place d’un concours des meilleurs projets juridiques et fiscaux organisé par PwC. Les portes s’ouvrent. "Ça a été une super aventure et avec cette ligne en plus sur mon CV, tout le monde me répondait." C’est dans une filiale de Natixis qu’il découvre le monde professionnel. Il y fait de la gestion d’actifs immobiliers, et touche du doigt ce qui le botte : les produits financiers. Alors que le mauvais élève se mue en premier de la classe, son curriculum vitae se remplit. Création de journaux étudiants à la fac – d’abord motivée par sa passion pour la photographie et qui l’a finalement conduit à rédiger des articles –, assistant parlementaire de Frédéric Lefevre, cofondateur d’un parti politique en vue des municipales de la cité d’Aix-en-Provence… Le presque jeune actif travaille aussi pour financer la construction de sa vie. Il lave des voitures et récolte les raisins. Quand il prépare l’examen du barreau sans prépa – "pas les moyens" –, il "compte les associations de l’Île-de-France pour créer une base de données qui les répertorie". Il raconte : "De 9h à 17h, je comptais les associations et de 17h à 22h, je révisais." Stagiaire, chez Reinhart, il se retrouve mobilisé sur des contentieux liés à des fonds d’investissement. Le charme de la matière opère. Il débusque un stage chez Edmond de Rothschild. Il se remémore avoir "tellement bien préparé qu’il a fait la présentation du groupe Rothschild & Co". Et d’expliquer : "Un cousin mais pas la même boîte." Comprendre : il a disserté sur la mauvaise entreprise. Il est pris et là-bas, il apprend tout de la spécialité bancaire et financière grâce à un maître de stage très pédagogue.

"Je me suis toujours mal imaginé la suite. Je ne pensais pas que ça allait être aussi bien"

À l’heure de la première collaboration, son horizon n’est pas si large. Au début des années 2010, très peu de cabinets proposent une branche droit bancaire et financier, ce qu’il appelle le "droit des services financiers". Simmons & Simmons s’est construit autour de l’accompagnement des institutions financières, à Londres. Il intègre la boutique après sa prestation de serment en 2011. Ainsi démarre sa carrière d’avocat, qu’il n'avait pas imaginée si longue. Le grand brun confesse deux choses. De s’être toujours mal imaginé la suite. "Je ne pensais pas que ça allait être aussi bien." Et d’avoir pensé, à ses débuts, qu’il plaquerait tout pour monter sa "boîte" dès qu’il aurait une "idée géniale". Émilien Bernard-Alzias n’avait pas anticipé le déclic qu’il aurait au sujet du développement des affaires du cabinet. "Je suis devenu bon à l’exercice et cela m’a permis de devenir associé." Assez bon pour ramener des clients qui "claquent" tels que la Fifa. Celui qui se trouve une âme d’entrepreneur a finalement réussi à trouver son "aventure entrepreneuriale", avec en bonus des armes de taille : "Des associés, le réseau, la marque et la force de frappe d’un cabinet international."

Sang chaud

Si le jeune homme de Hyères qui avait imaginé, en master, un concept de cendrier de plage et de piste de ski floqué par des marques semble loin désormais, ce n’est qu’une illusion, il existe toujours sous la robe. Une robe qu’il a d’ailleurs revêtue pendant six ans pour aller plaider des dossiers personnels aux quatre coins de la France, pour "ne pas passer à côté d’une expérience forte". Natif des bords de la Méditerranée, Émilien Bernard-Alzias admet qu’il a un "tempérament sanguin". Il a appris au fil des années à prendre une bonne nuit de sommeil avant de contre-attaquer. Et à toujours prendre le temps de la réflexion pour répondre à une question même si la réponse vient d’instinct. "Parfois, on croit tout savoir, en milieu de carrière", lâche-t-il. Son sang chaud n’alimente pas de stress chez lui. Ce qui inspire confiance à ses clients. Non, le stress ne monte que quand il s’agit de ses filles. "Quand elles étaient petites, je vérifiais toujours ce qui pouvait être un danger. La moindre situation mérite d’être anticipée."

Pêcher des oursins

Et pour combiner sa vie de famille au rythme intense du métier, Émilien Bernard-Alzias a trouvé la parade. Une femme avocate qui n’a pas pris ses jambes à son cou lorsqu’il a annulé leurs deux premiers rendez-vous galants. Et Family Wall, une application smartphone pour répartir "la charge mentale". L’équilibre vie pro-vie perso, il y tient, et notamment pour ses collaborateurs. "Je suis content quand mes collab’ me disent qu’ils vont au restau ou théâtre." Le nombre de candidats qui veulent rejoindre son équipe atteste de la bonne réputation et de l’humanité de celle-ci selon lui. Et s’il regarde dans le rétroviseur, Émilien Bernard-Alzias ne fait état d’aucun regret. C’est un adepte de la théorie de l’effet papillon – et du film de 2004 avec Ashton Kutcher. Mais, parfois, un sentiment d’imposture le gagne : "Je fais encore le rêve que je n’ai pas le bac." Quand il ne besogne pas des questions de cryptoactifs, l’avocat qui ne se met pas la rate au court-bouillon aime préparer de la daube de sanglier ou un osso buco en feuilletant La Cuisinière provençale de Reboul. Il n’a pas abandonné ses hobbies d’enfance : le skate (qui lui a valu le surnom de “The puriste” pour son côté tête brûlée) et la mer. Vous pourrez l’y trouver en été comme en hiver, sur son laser, où quelque part entre les rochers, à pêcher des oursins.

Anne-Laure Blouin