Une force performative, voilà ce qui semble porter Adrien Basdevant, associé et fondateur d’Entropy, le cabinet d'avocats spécialisé en technologies de rupture. Celui qui s’inspire de figures telles que Larry Lessig, Gilles Deleuze ou encore Kobe Bryant pense le droit du numérique comme un univers créatif, où les libertés individuelles restent à transposer.

Vendredi après-midi. Adrien Basdevant entre dans le salon de thé du Marais où nous avions rendez-vous. Dans cette déco ambrée d’Halloween, émaillée de reliques Harry Potter, l’avocat sourit et entame son récit.

Flamme familiale

S’ensuit une conversation drôle et réflexive, où l’avocat évoque autant des philosophes comme Spinoza, Deleuze ou encore Foucault que les membres de sa famille. Son arrière-grand-père était résistant, président de la Cour internationale de justice, et son grand-père ambassadeur. Des hommes de convictions, forts et humbles, qui, s’il ne les a pas connus, se sont inscrits dans son imaginaire et ont éveillé chez lui le sens du service public.

Très tôt, le métier d’avocat, même s’il ne lui semble pas éminemment créatif, lui apparaît comme la possibilité de "créer sa marge dans la norme". Adrien Basdevant veut goûter au défi d’"organiser une vie professionnelle qui explore plein d’univers différents", à l’intersection de la théorie et de la pratique où "lire du fond sert à restituer du concret". Aussi friand de mathématiques que d’humanités, il suit le cursus de l’Essec, concomitamment à ses études de droit. Son domaine de prédilection ? Le droit du numérique, où "toutes les questions philosophiques de liberté, d’identité, de propriété sont remises à plat". À la bibliothèque, il tombe sur LAvenir des idées de Lawrence Lessig, professeur de droit constitutionnel à Harvard. Pour l’étudiant, cet ouvrage "fait le lien" vers le monde du numérique. Son auteur, penseur et homme d’action, fait avancer la public policy aux États-Unis par ses dossiers, ou des écrits tels que Code is Law ou encore par la création du Berkman Klein Center, ce bastion interdisciplinaire consacré au cyberespace. Inspiré par le chercheur pragmatique, Adrien Basdevant commence à rêver de contentieux numérique pour les individus et de valeurs sociales à protéger.

Espace-temps

Le monde de la tech bouge très vite. Même trop vite. Preuve en est la vingtaine de notifications qu’il reçoit pendant l’entrevue. Mais rien ne lui plaît plus que de "résoudre les pain points d’un décideur qui se met sur un nouveau champ s’activité". Cette capacité à aller à la rencontre de chacun de ses interlocuteurs, pour leur rendre accessibles les enjeux de différentes technologies, caractérise l’avocat qui s’efforce dans sa pratique d’"être polyglotte et diplomate". 

Dans la journée, il se réserve des plages horaires pour se plonger dans les dernières technologies. Cet ancien membre du Conseil national du numérique parle de "temps incompressible, qu’il faut garder pour penser, pour se forger une culture générale, comprendre les questions de sociétés qui se posent". Les rabbit holes qui le happent sont constellés de white papers, mais aussi de séries telles que The Wire, les Soprano, ou encore le Bureau des légendes et Engrenages. Un savant équilibre qui lui a permis de rédiger, à la demande de ministères, un rapport sur les métavers – alors que sa fille venait de naître. "On n’est jamais complètement libre de son temps", confie-t-il en souriant. Ce qui ne l’empêche pas de déconnecter "rien qu’en regardant les yeux des enfants" ou avec de l’électro "dans un casque assourdissant et un son granulaire".

“On doit se mettre en situation de saisir les concours de circonstances quand ils vont apparaître 

Avec un haussement d’épaules enthousiaste, Adrien Basdevant déclare : "Pour faire des trucs marrants, il faut se bouger sacrément." Et se remémore sa première proposition d'association : "Très vite, on m’a donné ma chance." Il nuance cependant : "Mais la chance, on se la crée aussi. On doit se mettre en situation de saisir les concours de circonstances quand ils vont apparaître." Penser cependant que tout lui réussit serait se tromper. D’une part, l’avocat admet son échec en cuisine. D’autre part, il ne jalonne pas sa carrière d’objectifs trop précis.

Ce père de deux enfants avoue volontiers qu’il "ne sait pas où il sera dans cinq ou dix ans" et envisage une "infinité de possibles". Pour celui à qui "il reste tellement à entreprendre" les individus "sont en puissance", à la manière du conatus de Spinoza selon lequel chacun doit persister dans son être. Une quête quotidienne où se perdre fait parfois partie du chemin. 

Énergie à entropie

"Pour reprendre de l’énergie, il faut dépenser de l’énergie", déclare-t-il en savourant son carrot cake d’un bon coup de fourchette. Pour ce fan et ancien joueur de foot, qui regrette d’avoir parfois délaissé le sport, continuer à avancer requiert de "passer plus de temps dans son corps". Ce principe et d’autres que "l’on connaît mais que l’on n’applique pas" correspondent selon lui à "des habitudes que l’on n’arrive pas à ancrer dans la journée"Son leitmotiv ? "On peut tout avoir, mais pas tout en même temps", explique-t-il dans un sourire.

Son ouvrage, L’Empire des données, publié en 2018, livre sa vision du numérique. Une vision qui maintenant se déploie notamment dans les problématiques de l’IA générative. "Il y a dix ans, je ne pouvais pas savoir de quelle manière elles allaient se formuler. Mais je me suis mis dans la situation de m’épanouir dans ce contexte." Depuis six ans, Adrien Basdevant caresse l’idée d’un parquet national du numérique, qui retrace le cheminement des données et permette qu’un nombre plus important de dossiers numériques arrivent au judiciaire. "Tous les jours, on peut faire advenir quelque chose de différent, forger de nouvelles valeurs dans de nouvelles circonstances." Un élan à l’insoutenable légèreté vers les confins du numérique.

Alexandra Bui