Marie-Hélène Bensadoun se voyait avocate en propriété intellectuelle. Elle excellera finalement en droit social. Sans jamais délaisser l’art : quand elle n’accompagne pas une association de défense des femmes, celle qui exerce chez August Debouzy depuis deux décennies passe son temps libre au musée ou avec Proust.

"Je répondais toujours avocate quand, enfant, on me demandait quel était le métier de mes rêves." Marie-Hélène Bensadoun aime défendre depuis toujours. Il faut dire qu’elle a été "biberonnée au droit", élevée dans une famille où les juristes et les amis juristes sont nombreux. Née en France de parents qui ont quitté l’Algérie dans les années soixante, la spécialiste du droit social chez August Debouzy a eu pour modèles son père, "qui a tout laissé en Algérie et tout reconstruit pour devenir huissier de justice à plus de 40 ans et qui lui a inculqué l’idée que rien n’est acquis et qu’il faut toujours se remettre en question", et un "oncle" avocat, figure tutélaire qui lui a toujours fait comprendre qu’une femme doit acquérir son indépendance. L’ado "affirmée et engagée" qu’elle devient ne s’intéresse pas qu’au droit : il y a l’art, aussi. Alors, au moment de s’installer sur les bancs de la faculté de droit, Marie-Hélène Bensadoun s’imagine avocate en propriété intellectuelle ou commissaire-priseur. "Tout mon cursus est tourné vers la passion, avec une touche de raison. C’est ce qui m’a incitée à finalement privilégier le droit fiscal, à une époque où être fiscaliste, c’était comme avoir un bac 'C'."

Humain au centre

Un programme franco-espagnol, un passage à Madrid, une maîtrise et un troisième cycle de droit fiscal en France plus tard, la voilà en stage dans des cabinets prestigieux. Petit à petit, Marie-Hélène Bensadoun entre dans le droit des affaires. Celle qui est aussi inscrite au barreau de Madrid rejoint Salès Vincent & Georges. Elle y fera la rencontre de sa carrière : celle de Gilles August et d’Olivier Debouzy. Elle devient, avec Emmanuelle Barbara, la collaboratrice d’Agnès Cloarec-Merendon et s’initie au droit du travail en 1992. Lorsque le cabinet se divise, elle suit son associée "mais ne perd jamais vraiment Gilles, Olivier et Emmanuelle, qui créent August Debouzy". Marie-Hélène Bensadoun les rejoint en 1999, devient associée quatre ans plus tard. L’équipe de droit social débute à 5, ils sont 30 aujourd’hui. L’avocate, tombée "par hasard" dans le droit du travail, se passionne pour sa matière : "C’est le domaine le plus pluridisciplinaire qui soit. On manie quotidiennement le droit civil, le droit administratif, le droit fiscal et parfois le droit de la propriété intellectuelle." Sa pratique évolue beaucoup, et rapidement. Elle exige "rapidité d’analyse, réactivité, disponibilité, écoute et aussi une dose d’intuition". C’est aussi "le droit de la vie", et ça tombe bien : Marie-Hélène Bensadoun est "toujours en veille, le doute ou plutôt la remise en cause permanente des acquis étant [son] moteur".

 "On ne s'invente pas avocat en droit du travail. Il faut travailler et être à l'écoute."

L’humain est toujours au centre de l’activité de l’avocate. Elle veille à la qualité de ses relations avec ses confrères, car "la confraternité, même lorsque lon est opposés, est essentielle. Créer une relation de confiance avec des confères habituellement conseils de salariés est un atout pour pouvoir régler des négociations délicates, dans les dossiers individuels mais aussi et surtout collectifs. C’est ce qui a parfois permis de réinstaurer un dialogue social obéré par des malentendus." Elle aime aussi l’approche psychologique de son métier, "comprendre l’état d’esprit de son interlocuteur, essayer de percevoir la psychologie et les motivations de la partie adverse, observer les regards du juge et ses réactions face à un argument nécessitent d’être toujours en éveil. C’est ce qui évite l’ennui." Elle ne craint pas d’enfiler la robe quand il le faut : "Le droit du travail a une essence contentieuse. Il faut anticiper les contentieux éventuels pour savoir les porter devant les juridictions." Elle sort des audiences "lessivée" et avant chaque plaidoirie ressent de la pression "comme si c’était la première. Le jour où ce ne sera plus le cas, c’est qu’[elle] sera trop vieille pour continuer à faire ce métier qu’[elle] aime immensément." Rien n’est acquis dans son métier, Marie-Hélène Bensadoun le sait. "Je suis toujours heureuse quand je gagne des contentieux après des mois de travail et d’incertitude, de ressentir que ceux qui m’ont fait confiance ne le regrettent pas." Marie-Hélène Bensadoun "ne lâche jamais, car on ne s’invente pas avocat en droit du travail. Il faut travailler et être à l’écoute." Se nourrir d’autres engagements, également. Avec son mari, avocat lui aussi, elle a élevé deux enfants, aujourd’hui adultes, et dont, on le sent, l’avocate est fière. Elle pense "avoir été une mère présente qui a réussi à mener de front vie de famille et vie professionnelle". Elle a un petit secret, qu’elle révèle avec le sourire : "Je n’ai pas besoin de beaucoup dormir." Le temps libre de cette "féministe convaincue" est consacré à deux associations qui œuvrent pour l’éducation des femmes et contre le racisme : Toutes à l’école et Langages de femmes.

Juriste artiste 

Et à Proust. Chez elle, Marie-Hélène Bensadoun s’est constitué une bibliothèque consacrée à l’écrivain. À la recherche du temps perdu est le livre de sa vie : elle l’a lu trois fois, à 16, 30 et 40 ans. Différentes étapes de sa vie, différentes interprétations. "C’est une œuvre universelle, un miroir de l’âme humaine." Elle adorerait écrire. Elle se serait vue journaliste. Dans les nouveaux locaux du cabinet, l’avocate, férue d’art contemporain et de design, a exprimé sa sensibilité. Son bureau, parsemé d’œuvres d’art, dit beaucoup de celle qui, si elle n’était pas avocate, serait conservatrice dans un musée – elle adore le Louvre et le musée d’Orsay – ou galeriste. "Mais pas peintre, car je suis nulle en dessin." Sa passion pour l’art ne l’a jamais quittée. Celle pour le droit non plus. C’était peut-être écrit : Marie-Hélène Bensadoun est "sagittaire ascendant balance, le signe des juristes également artistes". Elle est faite pour des excursions au festival d’Avignon autant que pour la robe.

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Olivia Fuentes