Comment adopter une procédure de recueil et de traitement des signalements commune au sein d’un groupe, mener une enquête interne, comment la préparer ? Les interrogations sont nombreuses et les réponses se précisent.

Voici quelques balises pour vous permettre d’avancer et de vous y retrouver dans ce domaine aux contours encore flous.

I. L’adoption d’une procédure de recueil et de traitement commune au sein d’un groupe de sociétés : les quelques certitudes !

En imposant aux entreprises de plus de 50 salariés d’établir une procédure de recueil des signalements et de formaliser, de manière simple et intelligible, la procédure qui sera suivie pour le traitement des alertes reçues, la loi Waserman a suscité beaucoup d’interrogations pratiques. La principale a concerné l’adoption d’une procédure commune de recueil et de traitement des signalements au sein d’un groupe de sociétés : est-ce possible ? Si oui, pour toutes les filiales ou uniquement celles de moins de 250 salariés ? Le décret d’application publié le 3 octobre 2022, attendu avec une rare impatience par tous les professionnels de la compliance, n’a malheureusement pas apporté tous les éclairages et précisions attendus.

À ce jour, ce qui est certain, c’est que – quel que soit le nombre de salariés des ­filiales (250, en dessous ou au-dessus –, il est possible de mettre en place une procédure de recueil et de traitement des signalements unique, à condition de respecter les étapes suivantes :

- consulter les organes de dialogue social (Comité économique et social) en amont de l’adoption de la procédure commune ­(article 8 I. B 3° de la loi Sapin 2) ;

- faire approuver la procédure mutualisée de recueil et de traitement du signalement groupe par une décision des organes sociaux compétents de chacune des entités concernées par le dispositif (notice du ­décret) ; 

    > concrètement, il faut une décision formelle du représentant légal de chaque filiale d’adhérer à cette procédure commune, afin de pouvoir en justifier en cas de contrôle.

- veiller à ce que l’existence du dispositif de protection des lanceurs d’alerte soit mentionnée au sein du règlement intérieur des entités concernées (article L.1321-2 du Code du travail) ;

     > concrètement, il faut modifier le règlement intérieur donc une consultation du CSE sera également obligatoire sur ce point.  

- Diffuser la procédure commune dans l’ensemble des entités du groupe l’ayant adoptée, cette diffusion devant obligatoirement préciser les conditions et les modalités de transmission du signalement (article 8 du décret).

Ce qui reste à préciser, c’est de savoir jusqu’à quel stade la maison mère peut traiter l’alerte dont elle aura été destinataire et comment elle doit édicter les mesures correctrices, si elle le peut, concernant l’une de ses filiales à la suite du traitement de l’alerte. Au-delà des règles de confidentialité qui s’imposent au destinataire de l’alerte, c’est également le droit commun et les règles du droit des sociétés qui devront être respectés lors de la rédaction de la procédure de recueil et de traitement des alertes et dans sa mise en œuvre. Observons les pratiques de place et la jurisprudence à venir qui répondront très certainement à ces questions épineuses !

II. Enquête interne : quelques enseignements de la jurisprudence récente

Lorsque les textes n’offrent pas de réponse ou font naître des interrogations, le confort vient des enseignements de la jurisprudence et de la pratique.

Les alertes internes invitent l’employeur ou l’obligent (en cas de dénonciation de harcèlement moral ou sexuel) à diligenter une enquête, dont le rapport pourra constituer le support d’une décision disciplinaire. Dès lors, les contestations devant le juge prud’homal contribuent à dessiner les contours des enquêtes internes.

Des contours affinés par les jurisprudences de l’été 2022

Tout d’abord, la jurisprudence confirme, en filigrane, que l’audition du salarié désigné comme auteur de faits de harcèlement est très fortement recommandée. Elle permet de vérifier la matérialité des faits signalés, de recueillir la position des mis en cause et de mener, ainsi, une enquête interne à charge et à décharge. En revanche, conférant une latitude réelle à l’employeur, la jurisprudence de l’été 2022 a conforté la recevabilité comme élément de preuve des rapports d’enquête interne produits devant les chambres sociales même lorsqu’ils sont critiqués sur le fond par le salarié, le juge restant libre d’en apprécier la ­pertinence. Dans une première espèce, l’auteur désigné dans l’alerte n’avait pas été entendu et seule une minorité des personnes présentes dans l’open space avait été auditionnée. Le rapport d’enquête produit au soutien du licenciement était critiqué pour défaut d’objectivité et de force probante. Toutefois, il a été jugé recevable comme élément de preuve pour l’employeur (Soc. 1er juin 2022, n°20-22.0258). Une seconde décision a tranché dans le même sens, jugeant le rapport d’enquête admissible comme preuve, même si la salariée licenciée pour faute grave n’avait été ni entendue, ni confrontée lors de l’enquête interne (Soc., 29 juin 2022, n°20-22.220). La logique de ces deux décisions peut être recherchée dans les principes procéduraux applicables. D’une part, la preuve est libre en matière prud’homale. D’autre part, en vertu du contradictoire, le salarié licencié pourra contester devant le juge la force probante et la pertinence de l’enquête interne, dont le rapport est versé au soutien de son licenciement.

En conséquence, c’est à l’employeur de définir librement les investigations à mener lors de l’enquête sans figure de style imposée par la jurisprudence. Corollaire de cette liberté, l’employeur aura la responsabilité d’apprécier si les diligences qu’il a réalisées suffisent à fonder objectivement sa décision. À défaut de pertinence et d’impartialité du rapport d’enquête, le juge prud’homal pourra considérer  que les faits reprochés ne sont pas suffisamment établis et invalider, en conséquence, les mesures disciplinaires prononcées. Toutefois, la Cour de cassation a parallèlement rappelé la responsabilité de l’employeur dans la conduite d’une enquête interne, au titre de son obligation (de résultat) de protéger la sécurité et la santé physique et morale de ses salariés. En l’espèce, une enquête interne menée de façon partiale avait dégradé la santé psychique de la salariée mise en cause. (Soc., 6 juillet 2022, n°21-13.631). La personne chargée de l’enquête était sa supérieure hiérarchique directe, avec laquelle existait une mésentente notoire. Cette espèce met donc en lumière l’importance du choix des responsables de l’enquête: la procédure d’alerte doit désigner par avance ceux qui enquêteront et prévoir un mécanisme de déport en cas de proximité trop grande avec les faits ou de mésentente. Enfin, cet arrêt sanctionne une prise de décision hâtive et vexatoire, car une mutation disciplinaire avait été proposée avant la fin de l’enquête disciplinaire. Le déroulement de l’enquête a constitué un manquement à l’obligation de l’employeur à son obligation de sécurité.

Impartialité, formalisme et précaution, tels sont les maîtres mots du déroulement des enquêtes internes !

 

         LES POINTS CLÉS
  • Audition du salarié mis en cause : mesure non obligatoire pour la recevabilité du rapport d’enquête devant le juge
    mais très vivement recommandée pour l’objectivité de l’enquête.
  •  Personne en charge de l’enquête : en cas de proximité trop importante avec les faits ou de mésentente notoire avec l’auteur ­présumé des faits dénoncés, prévoir un mécanisme de déport de l’enquêteur, pour garantir l’exigence d’impartialité.
  •  Obligation de sécurité de l’employeur et enquête interne : un mariage de raison. Bannir toute décision hâtive ou mise en cause vexatoire qui porterait atteinte à la santé morale des salariés. 

 

Sur les auteurs:

Avocates depuis 2007 en contentieux et pénal des affaires, Fanny Rocaboy et Marion Lambert-Barret ont créé en 2018 le pôle compliance-­anticorruption au sein d’un cabinet d’affaires réputé de la place parisienne. La compliance, nouvelle logique de pensée du droit, est en effet devenue un complément indispensable de la pratique contentieuse et pénale. En 2021, elles fondent Aldébaran, une boutique spécialisée destinée à offrir à leurs clients une expertise pointue à travers une structure agile. L’équipe d’aldébaran accompagne ses clients, et en particulier les eti, dans la mise en place ou la revue de leur dispositif Sapin 2, en y portant un regard aiguisé de praticiens du contentieux et du droit pénal des affaires.