Déclenchement de l’enquête, principes essentiels, collégialité ou encore avocat enquêteur… Le cadre des enquêtes internes se précise depuis l’adoption des deux lois Waserman. L’objectif des chefs de la conformité, des directeurs juridiques et des avocats : mettre à jour leurs procédures internes pour prévenir une explosion du nombre des enquêtes internes.

Décideurs. Quelle est pour vous l’actualité principale des enquêtes internes ?

Emmanuel Moyne. L’enquête interne a le vent en poupe. Connue depuis longtemps, elle est encore difficile à cerner par un nombre important d’acteurs, que ce soit parmi les entreprises qui les conduisent ou bien les autorités qui les demandent. C’est un dispositif en devenir. Il n’existe pas de législation qui donne aux entreprises une manière de procéder et c’est une bonne chose. Elles peuvent conduire les enquêtes selon la forme de leur organisation, en fonction de leurs objectifs, tout en respectant les critères qui s’imposent.

Géraldine Hivert-de Grandi. Avant l’apparition des lanceurs d’alerte, qui ont contribué à donner un essor nouveau et à préciser le cadre de l’enquête interne sous l’impulsion de la loi Sapin 2, nous procédions à des enquêtes dans l’entreprise, par le biais traditionnel du département d’audit interne mais l’enquête avait alors un prisme relativement financier. Les règles techniques protectrices permettant de bien exploiter les enquêtes internes lorsque des personnes devaient par la suite être mises en cause n’étaient pas nécessairement suivies. Désormais, l’audit interne fait appel à plusieurs branches de métier, notamment l’IT, le juridique et la conformité permettant ainsi d’obtenir des preuves incontestables et exploitables. Ce développement de compétences est heureux au moment où les enquêtes se multiplient. Cette mise au point de la méthode des enquêtes internes est positive en ce qu’elle apporte de la visibilité en renforçant la sécurité juridique.

Domitille Fontaine-Castets. L’actualité la plus évidente serait bien entendu la loi Waserman. Nous nous attendons à un afflux d’alertes plus important et nous nous y préparons. Pour cela, nous mettons à jour nos procédures d’alertes et d’enquêtes internes : à l’occasion de ces mises à jour, nous nous assurons notamment d’avoir défini des référentiels qui fonctionnent. Beaucoup des enquêtes liées aux alertes en entreprise sont relatives aux risques psychosociaux, mais ce ne sont pas les seules enquêtes que les entreprises doivent mener. Il en existe d’autres qui concernent des risques qui, s’ils devaient se matérialiser, pourraient être de plus grande ampleur dans la mesure où leur impact pourrait être dommageable à l’ensemble du groupe. Ces enquêtes-là suscitent des examens très différents car elles pourraient constituer les prémices d’une défense de ­l’entreprise.

L’enquête interne serait donc un mode de défense pour l’entreprise ?

François Jambin. Ce n’est pas seulement un moyen de défense pour l’entreprise. Le déclenchement de l’enquête interne est aussi le révélateur d’une moindre tolérance des parties prenantes internes et externes à l’entreprise à l’égard de tous les comportements contraires à la loi ou aux valeurs de l’entreprise. Les salariés, les organisations syndicales, mais aussi les actionnaires ou bien encore les ONG ou les agences de notation et le corps social d’une manière générale, ne tolèrent plus les violations par les acteurs publics ou privés des règles relatives à la probité, au droit du travail, ou à l’environnement, aux droits fondamentaux des personnes. La montée en puissance de l’enquête interne s’inscrit aussi dans cette tendance à la judiciarisation que l’on observe actuellement. Néanmoins, je ne suis pas certain qu’il faille encadrer l’enquête interne par la loi comme cela est désormais le cas pour les alertes internes.

Le déclenchement de l’alerte correspond-il un moment précis ?

Géraldine Hivert-de Grandi. Une fois l’alerte reçue, il importe pour l’entreprise – et ce moment est décisif – de savoir si celle-ci nécessite un traitement par le biais d’une enquête interne, et auquel cas selon quelle méthodologie, de manière à pouvoir s’assurer de l’exploitabilité des résultats obtenus. L’on doit d’ailleurs bien distinguer les alertes internes mineures, au nombre desquelles les remontées de problématiques managériales sont pléthores et seront traitées par un processus RH simple, des enquêtes internes plus lourdes d’allégations dans la sphère d’infractions de corruption par exemple. Pour ces dernières, la phase de démarrage est cruciale car il est absolument nécessaire de s’assurer des règles de conduite de l’enquête pour pouvoir exploiter convenablement ses résultats tant au bénéfice de l’entreprise que de ses collaborateurs, sans négliger d’anticiper l’usage qui pourrait en être fait par une autorité investigatrice.

Pour cette phase, les avocats sont d’une aide précieuse car ils permettent aux entreprises de comprendre l’impact d’une enquête interne sur les sujets sensibles et difficiles à traiter, là où l’entreprise n’est pas forcément familière de processus complexes et dont les conséquences pourraient être significatives pour elle en cas de condamnation ultérieure par exemple. Les avocats vont énumérer les règles à mettre en place pour s’assurer de la non-déperdition des preuves et de leur bonne exploitation, s’assurer de prévenir l’exposition des dirigeants et permettre le respect des droits des collaborateurs tout comme l’ensemble des droits de la défense au bénéfice de la personne morale. Ces règles, les entreprises doivent se les approprier, les adopter et les exploiter au mieux pour mener à bien l’enquête interne.

Les entreprises sont-elles obligées de lancer ces enquêtes internes ?

Emmanuel Moyne. Les entreprises subissent une forte pression pour ouvrir ces enquêtes internes aujourd’hui. La raison ? Elles peuvent bénéficier d’une justice négociée si elles démontrent qu’elles avaient connaissance d’une situation problématique et qu’elles ont ­diligenté une enquête pour y remédier. Ce sont des recommandations, il n’y a pas de texte législatif qui impose d’ouvrir une enquête interne dans certaines conditions. Je ne suis d’ailleurs pas favorable à ce qu’on légifère sur le sujet car les principes fondamentaux du droit permettent déjà de mener une enquête correctement. Le choix d’ouvrir une enquête dépend des faits. Il existe une multiplicité de raisons pour ouvrir une enquête interne : les alertes internes, l’enquête judiciaire, l’article de presse, l’audit interne ou encore la fonction conformité. Mais, tout cela doit rester dans le domaine de l’appréciation de l’entreprise.

François Jambin. Je partage ce qui vient d’être dit. L’entreprise n’est pas tenue d’ouvrir une enquête interne. Cela doit être laissé à sa libre appréciation. Laquelle doit toujours être la plus circonstanciée possible. Et c’est là qu’intervient la collégialité. On est toujours plus intelligent quand on prend une décision à plusieurs. Il existe cependant des situations d’urgence où il peut être nécessaire de passer outre le temps long de la discussion et d’aller voir directement le procureur sans passer par la case enquête interne. C’est notamment le cas pour les sujets essentiels où l’on constate que l’infraction est caractérisée. C’est aussi le cas lorsqu’une autorité judiciaire étrangère réclame la transmission d’informations dans le cadre d’une enquête initiée à l’étranger. L’entreprise est alors tenue d’informer sans délai l’autorité judiciaire française en application de la loi de blocage. Enfin, les opérations de croissance externe peuvent constituer un motif supplémentaire de procéder à l’ouverture d’une enquête interne. En effet, depuis novembre 2020, la Chambre criminelle a opéré un revirement de jurisprudence relatif au transfert de responsabilité pénale en cas de fusion-acquisition, l’entreprise acquéreuse pouvant désormais subir les conséquences des infractions commises par l’entreprise qu’elle acquiert. Pour cette raison, les entreprises doivent renforcer leurs opérations de due diligence, qui peuvent parfois prendre la forme d’une enquête interne. 

La collégialité est donc un élément à prendre en compte ?

Domitille Fontaine-Castets. L’analyse doit être menée au cas par cas. En pratique, la collégialité n’est pas toujours souhaitable en raison du caractère nécessairement confidentiel d’une enquête. La décision d’initier une enquête sur le fondement des seules informations reçues n’est pas nécessairement collégiale. En effet, il pourrait ne s’agir que de ­rumeurs non étayées et non vérifiables, or dans ce cas, la collégialité systématique des prises de décisions pourrait indûment entacher la réputation d’une personne dans l’entreprise. Le compliance officer et la direction doivent pouvoir arbitrer, c’est un délicat équilibre. Prenons également le cas des acquisitions. Plusieurs niveaux de diligences raisonnables sont envisageables. Il y a les due diligences classiques réalisées en vue d’une acquisition envisagée, ces due diligences d’acquisitions classiques s’étendent d’ailleurs ces dernières années à de nouveaux domaines dans le seul volet compliance des due diligences, comme le respect des droits humains par la cible au cours de son activité passée. Une fois l’acquisition effectuée, il est également possible de diligenter une enquête interne ou un simple audit dont l’objectif serait de déterminer le niveau des standards de compliance de la société nouvellement acquise. Ces questions d’éthiques des affaires doivent pouvoir être arbitrées par le forum le plus approprié. 

Quels sont les grands principes à observer pour qu’une enquête interne se passe ­correctement ?

Emmanuel Moyne. Avant de parler des grands principes, je veux rappeler que si l’entreprise est prête à mener une enquête, elle le fera plus sereinement. On hérite parfois de situations où il n’existe aucun référentiel d’enquête et où personne ne s’est posé la question d’en instaurer un. L’ennui c’est que l’on passe parfois un temps important, une fois l’enquête déclenchée, à mettre en place ce référentiel. Le périmètre de l’enquête interne doit être correctement circonscrit. Les grands principes qui président à la bonne marche de l’enquête doivent être rappelés et suivis par l’entreprise qui, rappelons-le, reste une organisation vertueuse. Il convient de veiller au respect du principe de loyauté – qui impose de procéder à une recherche de preuve en respectant les droits des personnes sous enquête – et du principe d’impartialité. Ce qui pose rapidement la question suivante : qui va mener l’enquête ? Cette personne ne doit pas être impliquée dans les faits en cause afin de respecter les principes de loyauté et d’impartialité. Il faut que l’enquête soit la plus incontestable possible pour satisfaire à ses objectifs.

François Jambin. Il est urgent de cadrer sous forme de procédure interne de droit mou cette phase de l’enquête. Le droit dur pose un cadre en aval : l’enquête judiciaire. En amont, l’enquête interne gagnerait à être encadrée par une « procédure de règlement de procédure et de preuves » sorte de charte interne opposable à la fois aux responsables de l’enquête et aux personnes objet de l’investigation interne. Au-delà du principe de loyauté et d’impartialité déjà évoqué, cette charte devrait aussi, à mon sens, répondre aux exigences de proportionnalité qui imposent de déployer des moyens d’enquête adaptés à la gravité de l’alerte reçue. Ce critère de proportionnalité est susceptible d’être soumis au contrôle du juge. Ainsi, titre d’exemple, la Cour de cassation a jugé que les moyens mis en place – en l’occurrence une filature sur les jours de congé du salarié – étaient excessifs et violaient le principe de respect de la vie privée. Reste aussi l’épineuse question des droits de la défense dans le cadre d’une enquête interne. Il semblerait que le Conseil d’État considère qu’en l’absence de notification de griefs, le salarié ne puisse pas invoquer l’article 6 de la CEDH pour opposer son droit au silence. L’employeur serait ainsi en droit de tirer les conséquences du silence gardé par un collaborateur d’autant qu’on ne peut évidemment pas appliquer de contrainte à son encontre. Il faut raison garder. Le but de l’intérêt de l’enquête interne est d’obtenir des explications. Nous, juristes compliance, ne sommes pas des shérifs, nous n’avons pas les pouvoirs de la police, puisque « l’État a le monopole de la violence légitime » pour reprendre l’expression de Max Weber.

Géraldine Hivert-de Grandi. Un groupe pourra établir un référentiel unique, commun à sa holding et à toutes les filiales le composant, si et seulement s’il a acquis une certaine maturité sur le sujet. Le référentiel étant opposable, il faut que ses principes soient bien pensés pour être en cohérence avec les législations des pays étrangers dans lesquels ce groupe opère, ce qui est souvent complexe. Il me semble par ailleurs qu’il doit également y avoir maturité tant sur les sujets de fond que sur les sujets de forme. C’est-à-dire que l’entreprise doit avoir pensé  la composition des équipes internes et externes qui vont mener l’enquête interne pour s’assurer de la cohérence et du bon fonctionnement interpersonnel des acteurs qui la composent afin d’optimiser leur mode de fonctionnement. Elle doit également savoir en amont ce qu’elle fera des résultats de l’enquête, comment elle les communiquera, par exemple à sa maison mère et auquel cas, quelle place prendra la maison mère dans cette enquête. Il ne faut pas négliger le volet gouvernance des enquêtes internes.

Avez-vous une méthodologie pour aborder les enquêtes internes ?

Domitille Fontaine-Castets. Au-delà de la méthodologie, il y a un nécessairement un volet politique et stratégique dans les enquêtes internes, ce qui rend le sujet terriblement sensible. Il faut garder à l’esprit que les enquêtes portent rarement sur des faits très clairs impliquant des personnes très clairement identifiées et dans un contexte qui nous est familier. Elles peuvent plus classiquement concerner des filiales étrangères assez lointaines et des collaborateurs dont les postes sont assez sensibles. Aussi, la maturité de l’entreprise est en effet importante pour construire un référentiel commun à l’ensemble du groupe. L’ensemble des principes et standards d’un groupe ne font pas nécessairement l’unanimité à l’international. Par exemple, le principe de la protection de la vie privée peut-être interprété de manière différente selon les pays. L’intérêt d’établir un référentiel commun pour l’ensemble du groupe en amont permet de gagner en ­clarté le jour où la pratique l’exige.

François Jambin. Je suis d’accord sur le fait qu’un cadrage, une organisation préalable est indispensable afin de gagner du temps et de lever toute suspicion de partialité. Une fois l’enquête déclenchée, la lettre de mission confiée aux enquêteurs internes ou externes permet d’avoir des repères en termes de délais, de conservation et d’archivage des éléments de preuve, et de qui fait quoi. Par exemple, il est sain de prévoir un découplage entre ceux qui mènent l’enquête et ceux qui décident des suites à donner.

Comment abordez-vous une enquête au sein d’un groupe avec un élément ­d’extranéité ?

François Jambin. En cas d’enquête transfrontière, on commence par faire l’inventaire des procédures internes applicables à la filiale. On vérifie, par exemple, si la filiale a intégré la procédure groupe en matière de moyens informatiques. Même si la procédure groupe a été adoptée localement, il peut surgir un conflit parce que la loi du pays a évolué dans un sens différent et parfois contraire à la procédure du groupe. Un vrai casse-tête pour les juristes... Il nous arrive également de travailler avec des cabinets de forensic et de nous appuyer sur des huissiers et des avocats locaux, mais cela reste du cas par cas. L’important est que l’entreprise reste en situation de maîtriser la stratégie et de coordonner les appuis.

Géraldine Hivert-de Grandi. En revanche, si une charte groupe a été mise en place, il faut s’assurer que les principes soient assez larges pour ne pas gêner les principes locaux des pays étrangers qui pourraient contraindre à des règles distinctes. En effet, il sera difficile de faire du cas par cas si la charte groupe est trop « fermée », sauf à devoir mettre une ­réserve dans la charte.

François Jambin. Effectivement, il est préférable d’avoir une charte groupe tout terrain qui couvre tout.

Géraldine Hivert-de Grandi. La charte doit être, a minima, une déclaration de grands principes un peu large, et ce, pour éviter d’avoir des contestations. Ces principes permettent également d’avoir une enquête interne équitable.

François Jambin. Nous touchons du doigt une difficulté de la mission du chief compliance officer qui consiste à protéger le groupe en implémentant des procédures applicables aux bornes du groupe tout en respectant le principe de subsidiarité de nos filiales, c’est-à-dire en leur laissant une latitude sur la manière de faire. Dans certaines circonstances, il peut exister un rapport de force avec certaines filiales, qui revendiquent le droit de faire à leur rythme et à leur manière.

Géraldine Hivert-de Grandi. Oui, cela dépend si le groupe est centralisé ou décentralisé et des règles de gouvernance qui existent entre le corporate et les filiales.

Quel est le rôle de l’avocat dans l’enquête et quelles suites donner à cette enquête ?

Emmanuel Moyne. Indépendamment même de l’intervention de l’avocat, je pense que la meilleure manière de sécuriser l’entreprise c’est que le fonctionnement de l’enquête soit toujours le même. Une entreprise ayant déjà eu à connaître de faits qui ont nécessité une enquête interne disposera d’un retour sur expérience, d’une maturité pour mettre en place ou affiner un dispositif de groupe. Le caractère systématique permettra d’éviter de nombreux problèmes, y compris au moment des conclusions de l’enquête. Il faut distinguer la méthodologie générale d’enquête des axes d’enquête qui relèvent du cas par cas. Au cours de l’enquête, on va essayer de répondre à un certain nombre de questions tout en gardant à l’esprit les limites d’investigation qui s’imposent à l’entreprise. Dans certains cas, la question de soumettre les travaux d’enquête à l’autorité judiciaire va se poser et avec elle la question de savoir qui prend cette décision. Pour moi, l’enquête doit être menée de manière indépendante par les organes internes de l’entreprise, avec ou sans l’aide de l’avocat. Dans tous les cas, c’est le top management de l’entreprise qui prendra la décision relative aux suites à donner. L’équipe qui s’occupe de l’enquête va objectiver une situation de faits, elle va les qualifier juridiquement et va émettre des recommandations qui permettront au top management de prendre une décision. À ce stade, il est nécessaire de rappeler que ce n’est pas parce qu’il y a eu une enquête que des faits fautifs ont été commis ou que l’enquête interne permet à elle seule de comprendre ce qui s’est passé. Le résultat de l’enquête – même s’il n’a pas permis de tout révéler – peut conduire à dénoncer les faits à l’autorité judiciaire en exposant que l’entreprise est parvenue, avec les moyens qui sont les siens et qui sont limités, à un certain résultat. La conduite objective et sereine de l’enquête, préalable à une saisine potentielle de l’autorité judiciaire doit faciliter la prise de décision, en dépassionnant le débat d’une certaine manière. Finalement, l’avocat apporte avec lui sa méthodologie mais également sa connaissance de l’entreprise avec laquelle il travaille. Son regard reste extérieur même s’il conseille l’entreprise ; les règles de déontologie lui imposent de rester ­indépendant.

François Jambin. Que se passe-t-il si l’avocat mandaté par la personne morale pour procéder à l’enquête interne met au jour des faits susceptibles d’impliquer un dirigeant ? Ne s’agit-il pas là d’une situation de conflit d’intérêts réglée par la déontologie des avocats ?

Emmanuel Moyne. Quand nous défendons des personnes morales, nous rencontrons souvent ces situations. L’objectif est de savoir si une infraction a été commise ou pas, par qui et quelles suites réserver à ce constat. L’enquête mérite d’être conduite en interne par des gens qui n’ont pas connu les faits. Ceux susceptibles d’être sous enquête, dirigeants compris, seront invités à être assistés par leur propre conseil, même s’ils ont parfois pu être nos interlocuteurs au quotidien. L’avocat examine si les faits sont susceptibles de qualification pénale et recommande ensuite à l’entreprise la conduite à suivre. En fonction de ce qu’elle décide, nous réfléchissons à la suite de sa défense, l’enquête interne faisant nécessairement partie de celle-ci : tout à la fois elle objectivise une situation de faits, elle est donc un point d’étape, d’autant plus nécessaire qu’elle s’inscrit également dans la recherche potentielle d’une solution négociée, notamment dans le cadre de la CJIP qui, du point de vue de l’entreprise est un outil supplémentaire dans sa défense. Il n’y a donc pas d’incompatibilité entre assurer une mission de défense d’une entreprise et conduire une enquête interne pour le compte de celle-ci pour peu qu’on assure sa mission avec l’indépendance requise c’est-à-dire en application des principes essentiels de notre profession.

Comment voyez-vous l’avenir des enquêtes internes ?

Domitille Fontaine Castets. Je les vois de plus en plus normées. Je pense qu’il y aura une professionnalisation des enquêtes internes et que nous allons devoir recruter des personnes expérimentées sur le sujet dans les équipes juridiques et de ressources humaines. Nous allons devoir plus encore déployer d’importants efforts de normalisation et de formation sur ces sujets.

Emmanuel Moyne. Je ne pense pas non plus qu’on ait besoin de légiférer sur l’enquête interne, on la pratique depuis assez longtemps pour la conduire correctement aujourd’hui. L’enquête interne est un mécanisme bénéfique pour les entreprises, elle permet souvent de trouver une réponse plus rapide à une situation de fait problématique. La loi reste cependant imparfaite en termes d’exonération de responsabilité pénale : on demande beaucoup aux entreprises aujourd’hui, notamment en matière d’investigations internes. Réfléchissons aussi aux avantages que l’on devrait accorder aux entreprises qui sont vertueuses, et qui s’engagent depuis longtemps dans le renforcement de leur compliance et même dans l’exportation des bons principes dans le monde à travers leurs filiales.

François Jambin. Les entreprises sont très fortement incitées à collaborer, la limite étant qu’il ne faut pas qu’elles deviennent le supplétif de l’autorité judiciaire ou de la police. Quant à l’« exportation des bons principes » dont vient de parler Emmanuel, j’y souscris pleinement. Il est important que les contraintes qui pèsent sur les entreprises françaises puissent être appliquées aux entreprises concurrentes qui dépendent d’autres lois dans le monde, il faut un level playing field commun en commençant par une harmonisation à l’échelon européen.